Voilà un article que je voulais écrire depuis une éternité, mais que je négligeais… Et puis ce week-end, j’ai eu la chance d’assister à une projection du film « Même qu’on naît imbattables ! » de Marion Cuerq et Elsa Moley.
Ce documentaire nous emmène en Suède et nous parle principalement des droits des enfants à travers différents témoignages… Dans ce pays, les violences éducatives (même dites « ordinaires ») sont interdites depuis 1979 et l’impact sur la population est énorme. Au regard des connaissances actuelles en neurosciences, cette loi prend tout son sens pour permettre aux enfants de grandir dans de bonnes conditions en développant leurs capacités d’empathie, la possibilité de « faire avec » leurs émotions (je n’aime pas le terme de « gérer » qui implique, à mon sens, une notion de contrôle conscientisé), etc.
Alice Miller l’avait déjà compris dans les années 80 : les violences éducatives (dont celles dites « ordinaires ») sont le terreau de la violence des adultes et des sociétés. Aujourd’hui, les travaux plus récents en neurosciences confirment ses observations (pour une bonne revue de littérature vulgarisée, je vous invite à lire le livre de Catherine Gueguen : « Pour une enfance heureuse« ).
Voici l’une des phrases écrites par Alice Miller qui illustre tout à fait le propos de mon roman « Le sablier des cendres » :
« Malheureusement, on nie partout le fait que tous les monstres sont nés enfants innocents et deviennent bestiaux à cause de leur éducation brutale. Les terroristes qui décapitent leurs victimes, en Irak ou ailleurs, ne sont-ils pas des êtres humains, ne sont-ils pas, comme Hitler, devenus des êtres cruels et sans scrupules à la suite de leur enfance ? »
Il est parfois difficile d’accepter ce constat, cela ne donne-t-il pas des excuses à nos « monstres » humains ? Mais une explication ou une constatation n’est jamais une excuse et si tous les enfants violentés ne deviennent pas des monstres, c’est bien parce que d’autres aspects rentrent en ligne de compte. Parmi les événements qui permettent à certaines personnes d’échapper au cercle vicieux de la violence, se trouve la présence des témoins secourables (Alice Miller) :
« Il est intéressant que dans les enfances de tous ces dictateurs, comme aussi dans ceux des criminels en série, on ne trouve pas de personnes que j’appelle « les témoins secourables ». Il s’agit de personnes que presque chacun de nous connaît, quelqu’un qui nous a aimé, qui nous a donné un peu de chaleur, un peu de confiance en nous. Grâce à la présence d’une telle personne (même très passagère), nous pouvions développer l’espoir de trouver l’amour dans notre vie. Mais si une telle personne ne partage jamais la vie de l’enfant en le réconfortant, celui-ci ne connaîtra que la violence. Il la glorifiera et la perpétuera. »
Les zones de notre cerveau qui permettent l’empathie, la compassion, la compréhension des émotions, etc. vont principalement maturer sous l’effet d’une hormone incroyable : l’ocytocine. C’est pour simplifier une hormone qui sera sécrétée grâce à l’amour et au plaisir/bien-être (elle ne fait pas partie du système de récompense/punition en revanche, contrairement à la dopamine, qui aura plus un effet « addictif » qui satisfait sur le coup, mais pas à long terme).
Donc pour grandir correctement et faire en sorte que notre cerveau mette en place toutes ses connexions d’une manière optimale, le meilleur moyen, c’est de donner/partager de l’amour, de la sécurité, des bons moments… (le cerveau est en construction jusqu’aux environs de 24 ans, pour information !)
Au contraire, les hormones de stress, qui sont normalement présentes en situation de crise pour la survie et permettent soit l’attaque, la fuite ou la sidération (la dernière étant très efficace pour obtenir des enfants calmes, malheureusement…) telles que le cortisol, sont non seulement toxiques en grande quantité ou lorsqu’elles sont sécrétées à long terme (violences éducatives même dites ordinaires répétées dans le temps), mais empêchent en plus le jeu de l’ocytocine et donc la maturation du cerveau.
Ainsi, on comprendra mieux qu’un enfant puisse devenir à son tour un bourreau dénué d’empathie s’il subit et/ou est témoin de violences toute son enfance.
Nous ne voulons pas d’un monde peuplé de Greg Forbs (mon anti-héros dans « Le sablier des cendres« ), alors arrêtons de trouver des excuses pour perpétuer les violences éducatives ordinaires !
Je souhaite de tout cœur que la loi « anti-fessée » dont l’appellation est terriblement réductrice, puisqu’il s’agit d’une loi pour protéger les enfants de toute violence éducative (mais c’est ce que vous retrouverez dans la presse et sur les réseaux sociaux), passe enfin en France et que nous puissions proposer un autre modèle d’éducation aux générations à venir.
Donnons une seconde chance à l’humanité (française) !
PS : en Suède, 4 enfants meurent en moyenne chaque année sous les coups de leurs parents (réf). En France, les statistiques fiables sont très difficiles à trouver. Le chiffre de 700 enfants par an est souvent avancé (2 par jour), mais on n’en sait finalement rien. Toujours est-il que l’estimation la plus basse serait proche de 70 par an… (réf)
Quant aux violences envers les femmes (dont je parle beaucoup dans mon roman), on comptait en France 109 femmes tuées par leur (ex)conjoint en 2017 (réf) contre 20 en Suède (réf). C’est toujours trop, bien sûr, mais le lien de corrélation serait tout à fait cohérent entre violences éducatives et violences conjugales…
Très bon article, je suis totalement en phase avec une éducation non plus basée sur le système de récompenses, mais sur l’apprentissage par l’expérience. Mais je prendrais avec d’avantage de pincettes la comparaison entre la France (plus de 67M d’habitants) et la Suède (moins de 10M d’habitants). J’espère et pense qu’en effet, le nb bien moins important de décès suite à la violence (sur les enfants ou sur le conjoint) est en partie dû au lois en vigueur en Suède mais il y a également le facteur « population » à prendre en compte. Mais les liens sources sont très intéressants, et j’ai beaucoup aimé ta mise en avant des répercussions physiologiques du stress émotionnel ressenti lors de la construction d’une personne.
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Oui, la comparaison statistique d’un pays à un autre est très complexe. C’est pour ça que j’ai voulu tenter de mettre en avant des événements « concrets » (=la mort). Car, par exemple, en Suède, une femme qui subit un viol par jour, ce sera comptabilisé comme 365 viols. Impossible donc de comparer les statistiques pour viols et violences puisqu’en France, cela sera compté en fonction du nombre d’individus et non du nombre d’actes (idem pour les enfants violentés).
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Oui c’est toujours compliqué de se frotter aux études statistiques… !
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